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L'art n'a pas à être moral, l'artiste n'a pas à s'occuper des conséquences sociales de son chemin vers le beau. Oscar Wilde y laissera la vie. Aura de scandale qui le poursuit toujours. Paru en 1891 dans le Lippincott's Monthly Magazine, c'est une version épurée par la morale d'époque qui paraît en roman, et qui sera traduite en français dès 1895. Il était temps de rebattre les cartes. Un roman du désir. Mais avant tout un conte fantastique, et qui fait mal: le portrait que réalise du jeune Dorian Gray le peintre Basil Hallward serait un tel idéal de la beauté que le tableau devient insupportable à celui qui en fut le modèle. Et s'il était possible que ce soit le tableau qui vieillisse, et que lui, Dorian Gray, garde à jamais ce visage tel qu'il a été transcendé et fixé ? L'incroyable puissance du récit tient à ce noeud, jusqu'au coup de couteau final. Il était temps, plus que temps, de présenter le livre en français dans sa version originale, celle du Lippincott's Monthly Magazine, avant les coupes subies par le roman - le monde anglophone a fait aussi cette révision. L'occasion pour Christine Jeanney de reprendre entièrement un récit universel, et l'aiguiser pour la langue d'aujourd'hui, en exclusivité pour publie.net. FB
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Il n'a rien perdu de sa magie. Et même, à mesure qu'on s'éloigne de l'époque, la phrase en est si belle... Qui de nous pour ne pas se souvenir de l'aventure du Grand Meaulnes ? Sans doute, pour ceux de ma génération, c'était plus facile : les écoles primaires étaient les mêmes, et il y avait un forgeron maréchal-ferrant dans la rue principale du village (à Saint-Michel en l'Herm, il s'appelait Jubien). La vie n'avait pas tant changé, lieux, circulations, objets, du temps du Grand Meaulnes à nos années cinquante. La bascule est venue après, radicale. Michel Chaillou citait souvent cette phrase extraordinaire, où le seul adjectif ordinal suffit à conditionner et le mystère et le rêve : Et, toute la nuit, nous sentions autour de nous, pénétrant jusque dans notre chambre, le silence des trois greniers - pourquoi trois ? Tout tient à ce trois. Mais le mot grenier qui était pour ceux de mon âge associé à un univers bien concret, une odeur de pommes séchant tout l'hiver du côté maternel, et celle des pneus Michelin neufs du côté paternel, que représente-t-il lorsque nous intervenons en collège, ou cherchons à reconstruire la même bascule fantastique avec l'univers urbain des collégiens d'aujourd'hui. Mais tel est le mystère de la lecture et du conte que les adolescents d'aujourd'hui, lorsqu'ils se glissent dans le Grand Meaulnes à leur tour, y installent des rêves qui ne sont pas les nôtres - mais le fonctionnement du rêve, sa machine à merveille, l'étrangeté de Frantz, le mystère d'Yvonne, si. Je crois que j'ai relu le Grand Meaulnes à chaque étape de ma vie. Maintenant encore, tous les deux ans, trois ans. Et toujours des découvertes : récemment, Pierre Bergounioux cite souvent la construction séquentielle des premières pages, la mère du narrateur mise littéralement à l'ombre, remplacée par la mère d'Augustin, et cette terrible phrase qui est la première que le narrateur entend - si on met Augustin Meaulnes en pension ici, c'est que son frère s'est noyé, le narrateur prenant ainsi la place du mort. C'est une trappe à mystère - la fête qu'on ne retrouve plus, chacun la porte en soi à jamais. Une écriture séquencée comme le cinéma, qui n'existe presque pas encore, pour la plus belle leçon de rêve et d'adolescence FB
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Comme toutes les bibliothèques, la bibliothèque fantastique c'est d'abord celle de ses propres souvenirs. Les livres qui nous ont fait trembler, les livres qu'on a lu dans un sentiment de fascination et de malaise, tournant les pages de façon pressée jusqu'à la révélation finale - ou pas de révélation, juste la catastrophe. Mes Jules Verne font évidemment le coeur de cette bibliothèque. Et dans l'ensemble des Jules Verne, quelques distorsions noires, quelques livres moins explicables. Ainsi, au premier chef, du Château des Carpathes. Les paysages. Les voyageurs, comme sortis brutalement d'un décor façon romantisme, avec ombres légèrement Frankenstein. Les ingrédients : des ruines, la peur, la mort. Ici, se rajoutent la peur et la voix. Et, ce qui nous concernerait pour aujourd'hui encore, l'anticipation d'un mystère technique, qui n'en est plus un pour nous mais alors, justement, ne saurait plus créer l'illusion fantastique. La popularité de Jules Verne dans notre littérature fait que l'ensemble de ses livres sont disponibles depuis longtemps, et librement, en version numérique. Mais souvent fautifs, ou pas adaptés à nos récentes liseuses et tablettes. Jules Verne mérite ce soin minimum. Et qu'on guide aussi, un petit peu : tentez-donc le Château des Carpathes... FB
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Michelet, c'est l'irruption de l'Histoire dans la pensée, avec les outils de la littérature. Il vient de terminer son Histoire de France. Il reste tant de nuit. Dans cette nuit, le crime: crime collectif, même si l'Église lui sert de bras. Dans les manuels de l'Inquisition, dans les vieilles relations des procès de sorcellerie, Michelet découvre la naissance d'une idée: la femme. L'étendue du crime, les centaines ou milliers de victimes, en expiation de quoi ? L'inconscient collectif de l'homme face à ce qui lui fait peur. L'examen est révoltant, il est dur, à la limite parfois de l'insoutenable. Mais les rouages ne sont pas des fantômes dont nous nous serions à jamais débarrassés. L'enquête de Michelet est passionnante en elle-même, elle ouvre à grands pans sur notre présent. --- L'idée qui me guide depuis longtemps : avoir dans ma bibliothèque numérique les livres qui ont compté pour moi, tout simplement. Et Michelet en est. La mer, quel immense poème... On a complété par cet étrange texte de curiosité dans le monde, L'Oiseau... Pour la Sorcière, personne n'avait réalisé de version numérique. Ça m'avait demandé quelques mois, mais, dans ces temps premiers de publie.net, au moins je l'avais mise en ligne. Depuis, le niveau d'exigence a monté. Relecture, nouvel epub, couverture aux bons soins de Roxane Lecomte. Et surtout, l'idée que notre intervention, qui justifie de reprendre ces magnifiques trésors du domaine public, c'est le lien qu'on peut en faire à la lecture au présent. Sur le web, tout est offert, mais guider et mettre en avant les enjeux, ça passe par la lisibilité même, l'ergonomie de ce qu'on fait du texte, mais ça passe aussi par cet énoncé. Hervé Jeanney, en tant qu'historien, s'en est chargé (et de la relecture pour l'établissement du texte). Il nous propose un préambule qui renverse radicalement les clichés sur Michelet. Tenir la ligne frontière entre le travail de l'historien et celui de l'écrivain. Replacer la lecture du Moyen Âge, qui a tant évolué depuis 80 ans, dans cette dynamique même d'appropriation et lecture. Ça ne change rien aux horreurs que décrit Michelet, et à une question qui ne peut pas s'appréhender sans poser politiquement le rôle de la femme dans la société, en permanence lisible en creux dans les énoncés qui les condamnent pour sorcellerie, et tuent. Voici ce préambule d'Hervé Jeanney, et - pour nos abonnés qui auraient déjà téléchargé la version initiale de la Sorcière, bien sûr penser à la remplacer par celle-ci ! François Bon --- En 1862, quand paraît La Sorcière, Michelet a 64 ans. Autant dire qu'il n'est plus un perdreau de l'année. De lui, de son oeuvre, Pierre Chaunu, historien archi reconnu-encensé-installé, dira "au niveau historique, c'est nul". Parce que Michelet, souvent, écrivit non en historien mais en écrivain. Touffu, éclaté, fiévreux même, La Sorcière est un livre de convictions qui se soucie comme d'une guigne de vérité suprême. Au contraire. C'est un livre où l'auteur livre ses écoeurements devant la bêtise du dogme religieux, la stupidité des inquisiteurs, le gâchis humain que souvent le Moyen Âge livra. Et ses séquelles obscurantistes jusqu'en plein XVIIIe siècle. Bien sûr, on sait depuis que Michelet "inventa" le médiéval horrifique. Il le tenait tellement en horreur qu'il le noircissait à outrance. Mais ces excès ne sont pas si gênants puisque l'historiographie, depuis, s'est chargée d'équilibrer la balance. Et puis, en histoire, science inexacte s'il en est, le questionnement est plus important encore que le verdict, et La Sorcière questionne, retourne et défriche en tous sens. Contes, légendes, et même tentatives (maladroites, mais quand même, 1862 !) d'ethnohistoire, textes religieux, édits, la matière que Michelet recycle est immense. Sans compter toutes les citations faites "de tête", venues du fin fond de sa culture classique. Ce livre n'est pas sans défauts, le premier étant sans doute de pousser le lecteur à se demander souvent ce que l'auteur fait dans ce maelstrom d'idées, d'impressions et de citations ; à tel point qu'à plusieurs reprises on se croirait perdu dans un tableau de Jérôme Bosch, sans en trouver ni le sens ni la sortie. On trouve aussi, perlées, de nombreuses allégations pseudo-raciales si fréquentes au XIXe siècle, agaçantes caricatures visant le Nordiste appesanti et renfrogné, le Sudiste sauvage et solaire, l'Espagnol exubérant, le Jésuite enfin accablé d'absolument toutes les tares. Pas grave : tant de phrases sublimes vous restent après qu'on oublie ces travers. Michelet, conscience hugolienne et scientiste à la fois, explose de colère, de sarcasme, d'inventivité et de fulgurances dans ce livre unique. Dénonciation de l'obscurantisme, de la misogynie, de l'exploitation des faibles, c'est comme si l'ennui profond qu'il devait ressentir en ces années dolentes de Napoléonisme (le III, pas le 1er) venait lui fouetter le sang. Souvent, on se demande si le réel sujet du livre n'est pas Satan lui-même, si souvent cité, et dont Michelet n'a pas décidé fermement s'il était l'ennemi absolu ou la providence de l'humanité. En cela, il sépare clairement ces inquisiteurs plus bornés et dégénérés les uns que les autres (pages horrifiques d'orgies en tous genres) du démon, conceptuel, ironique et presque attachant. Michelet pardonne au diable, pas aux hommes. Hervé Jeanney
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Il a souffert, le Pantagruel. Dans nos Lagarde & Michard d'autrefois, on le qualifiait de « livre maladroit et naïf ». Et dans l'exemplaire de la Bibliothèque Royale conservé à la BNF, la page comportant la discussion pourquoi les moines ont-ils la couille si longue a simplement été arrachée. Surtout, à partir du 17ème siècle, et jusque dans la récente édition Pléiade, on commet un acte de grande bêtise : on fait précéder Pantagruel par Gargantua, sous prétexte que l'histoire, Gargantua étant le père de Pantagruel, se passe avant. Alors que ce qui est fascinant dans le Pantagruel, et le rend vertigineux, c'est le chemin vers une langue qui, peu à peu, quitte l'abstraction des voix pour apprendre à nommer le monde. Tout à la fin du Pantagruel, le narrateur, Alcofribas Nasier c'est l'anagramme de François Rabelais, grimpe dans la bouche de son propre personnage, le géant, et y découvre des villes, des paysans : la langue française désormais est inventée. Et c'est toutes les étapes de cette naissance qui nous rendent ce livre fascinant : le non-sens, le à ceste heure parles-tu naturellement adressé à l'étudiant limousin, les langues inventées de Panurge (vous vous dites ne pas comprendre le français de Rabelais ? - mais il est construit spécialement pour interroger le fait que la langue ne se comprend pas...), le procès de langue en délire de Baisecul contre Humevesne, et toute sa charge subversive contre les abus de pouvoirs de la royauté, etc, etc...). Et puis Rabelais s'emmêle : il y a 2 chapitres IX, il y a ces chapitres qui se répètent, parce qu'on décalque une figure chez l'italien Merlin Coccaïe, et qu'on la réécrit avec ses armes ensuite. C'est l'archéologie de son invention qu'il nous permet. Si Pantagruel reçoit la célèbre lettre de son père, lui indiquant tout son programme d'étude (Ie voy les brigans, les bourreaux, les avanturiers, les palefreniers de maintenant plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps...) une fois qu'il les a bouclées, et alors qu'il témoignera aussitôt, au chapitre suivant, quand Panurge lui parle latin, n'en avoir rien suivi, c'est bien délibéré... C'est pour assister encore de plus près à cette naissance, et de Rabelais, et de la langue, que nous proposons le Pantagruel d'après l'édition princeps de 1532, avec entre crochets [les ajouts de] l'édition de 1533. Ponctuation et graphies originales respectées, u et v distingués. FB
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Le club du suicide
Robert Louis Stevenson
- Publie.net
- E-styx Anticipation Et Fantastique
- 15 Juillet 2012
- 9782814506541
Des dispositifs pour se donner volontairement la mort, et briser le tabou sur le suicide, cela a toujours tenté notre société, dans ses rituels les plus secrets, et bien sûr la fiction n'est pas en reste (du fameux fauteuil de Cortazar à tout un bouquet d'histoires de Maupassant).
Mais les amoureux du fantastique savent bien que Robert Louis Stevenson, notre cher Robert Louis Stevenson, le roi du suspense et du mystère, avec Le Maître de Ballantrae, Dr. Jekyll and Mr. Hyde, ou son Île Au Trésor.
Lui, il investit carrément la Londres ténébreuse, celle des mystères de Jack L'Éventreur. On y marche de nuit comme dans le brouillard, mais il y a aussi des tavernes, des ponts, et cet étrange Club à l'entrée bien protégée.
On s'y prend comment, pour vous l'offrir, votre suicide ? Il suffit d'un peu de chance et d'entraide.
Et ça marche ? Que trop bien... Tellement bien, qu'on aimerait peut-être parfois faire demi-tour. Seulement, il semble que ce soit la seule chose interdite, au Club des Suicides... Sans doute le plus célèbre des contes, et le plus noir, que Stevenson rassemble dans ses Mille Et Une Nuits.
Traduction de Thérèse Bentzon. -
La réputation d'Albert Londres (1884-1932) est indiscutable.
Celui qui a laissé son nom à un des plus grands prix internationaux de journalisme était reconnu pour ses travaux d'investigation fouillés. Au travers de l'écriture, Albert Londres observe et transmet, avec minutie. Au-delà de ces seules interrogations sur un monde en mutation, c'est un devoir.
Utilisant l'Histoire pour en expliquer l'actualité, l'homme, alors au sommet de sa gloire, décide d'entreprendre l'une de ses plus grandes enquêtes. Nous sommes en 1929, et c'est un sujet qu'il connaît mal : les juifs.
S'ensuit un périple à travers une Europe troublée. Voyage qui commence à Londres, se poursuit à Paris en passant par les ghettos de Pologne et de Transylvanie, avant de le conduire en Palestine.
Étonnamment, Albert Londres ne se rendra pas en Amérique, bien qu'il en parle à de nombreuses reprises.
Dix-huit ans avant la création de l'État hébreu, son optimisme sur le sort des communautés juives de Palestine se traduit par vingt-sept articles initialement publiés en 1929 dans « Le petit Parisien » et qui donneront matière à ce livre essentiel.
Tout au long de son enquête, Albert Londres relate ces extrêmes dont il est le témoin. En découvrant Tel-Aviv, il débarque à une période cruciale, où ce contraste le saisit. Loin de la misère des ghettos d'Europe centrale, la ville est ensoleillée. Les siècles d'oppression ne sont plus. Il y découvre des Juifs se comportant tels des citoyens d'un pays nouveau, dans une ville moderne et propre.
Mais le trouble demeure. Le gouvernement de Sa Majesté britannique a trop promis, préparant une collision qui surviendra bien vite. La Palestine aux Arabes et aux Juifs ne sera pas telle que tous la rêvaient et l'espéraient.
Par cette enquête exceptionnelle, Albert Londres n'hésite pas à avancer sur ces jugements, quitte à se tromper.
Tout au long de sa lecture, chacun demeure libre de se forger sa propre opinion, et c'est là l'une des grandes forces de celui qui fut un formidable journaliste, fondateur du grand reportage.
Ce livre est une part de notre histoire commune.
Il nous appartient d'en saisir l'essence et l'importance de ne pas oublier.
Dans une Europe face à ses démons, la préface de Michèle Kahn nous rappelle Oh ! que vous nous manquez, M. Londres !
GC -
Grand Raymond Roussel : vie hors du commun bien sûr, un héritage qui fait de lui un homme fortuné, libre de se consacrer aux passions qui le brûlent. Compositeur, pianiste de génie, inventeur tous azimuts, sauf qu'incompris. Et, au-des la passion d'écrire : un inventeur, un manipulateur (voir son légendaire Comment j'ai écrit certains de mes livres), un expérimentateur sur comment s'y prendre. Et pourtant, à chaque publication, de son vivant, l'échec qui le conduira au suicide, à Palerme, en 1933. Il nous laisse, parmi une suite de monstres littéraires qui en mettent toutes les valeurs à bas, au moins une oeuvre en apparence raisonnable : la description du parc, dans la demeure d'un étrange inventeur, Martial Cantarel, et quelques rencontres qu'on y fait. Il fallait cela pour que nous entrions, nous, comme dans un rêve, dans ces machines étranges, mêlant l'art du récit à de fascinantes inventions plastiques, machines à arracher les dents et composant ces labyrinthiques oeuvres d'art à partir des dents collectées ? "Locus Solus", paru en 1914, au bord de la catastrophe du monde, est un livre des plus immenses, vaguement inquiétant, toujours acide, un défi à notre relation ordinaire au monde. Il suffit pourtant d'y suivre l'explorateur Échenoz pour être pris par le plus simple, le plus époustouflant et troublant roman. FB
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"Plénitude de l'extase, de l'enthousiasme, de la possession, mais aussi bonheur du vin, joie de la fête, plaisir d'amour, félicité du quotidien, Dionysos peut apporter tout cela si les hommes savent l'accueillir, les cités le reconnaître, comme il peut apporter malheur et destruction si on le nie. Mais en aucun cas il ne s'en vient pour annoncer un sort meilleur dans l'au-delà", dit Jean-Pierre Vernant dans sa préface.
"À la truelle, nous dégageons chaque vers dans sa solitude, comme une phrase autonome. L'articulation syntaxique se fait mentalement, au fil des vers, dans le cerveau de l'auditeur", dit Jean-Daniel Magnin, lui-même auteur, scénariste, homme de théâtre pour rendre compte de son travail ici.
Alors tout chante, tout est restauré dans sa violence initiale. Et dans cette pureté de miroir d'acier c'est le monde au présent que nous lisons. Au contact du dieu, qu'aucune scène ni aucun temps n'enfermera. Cela parle de colère, de démence, de villes et de destin.
Créée en 1991 dans une mise en scène de Philippe Adrien, publiée chez Actes Sud, cette traduction resurgit toute armée pour notre lecture. Bienvenue en 405 avant JC, dans le plus fabuleux atelier du pouvoir et de sa légitimité.
FB
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Habitué des grandes études (sur la mer, sur la sorcellerie, sur les insectes [à venir], sur les oiseaux...), Michelet peint dans Le Peuple un passionnant aperçu de toutes les strates de la hiérarchie sociale (l'ouvrier, le paysan, le fonctionnaire, le bourgeois, le marchand...), mais tient également une réflexion sur sa propre condition d'écrivain, d'historien, de « fils du peuple ». Toujours et plus que jamais d'actualité, Le Peuple, écrit à la fin du XIXe siècle, est un livre sur la servitude, une ode au monde de la paysannerie, une enquête sur la condition humaine, sur l'âpre bataille de la machine et de l'ouvrier, sur le pouvoir et l'aliénation de l'argent, et, plus largement, un livre sur la nation française et l'héritage des valeurs de la Révolution. Toujours passionnant, toujours passionné, Michelet nous fait découvrir une France qui, si nous n'étions pas sûrs d'être au XXIe siècle, nous semblerait étrangement proche...
« Ce livre je l'ai fait de moi-même, de ma vie, et de mon coeur. Il est sorti de mon expérience, bien plus que de mon étude. Je l'ai tiré de mon observation, de mes rapports d'amitié, de voisinage ; je l'ai ramassé sur les routes ; le hasard aime à servir celui qui suit toujours une même pensée. Enfin, je l'ai trouvé surtout dans les souvenirs de ma jeunesse. Pour connaître la vie du peuple, ses travaux, ses souffrances, il me suffisait d'interroger mes souvenirs.
Car, moi aussi, mon ami, j'ai travaillé de mes mains. Le vrai nom de l'homme moderne, celui de travailleur, je le mérite en plus d'un sens. Avant de faire des livres, j'en ai composé matériellement ; j'ai assemblé des lettres avant d'assembler des idées, je n'ignore pas les mélancolies de l'atelier, l'ennui des longues heures...
Triste époque ! c'étaient les dernières années de l'Empire ; tout semblait périr à la fois pour moi, la famille, la fortune et la patrie.
Ce que j'ai de meilleur, sans nul doute, je le dois à ces épreuves ; le peu que vaut l'homme et l'historien, il faut le leur rapporter. J'en ai gardé surtout un sentiment profond du peuple, la pleine connaissance du trésor qui est en lui : la vertu du sacrifice, le tendre ressouvenir des âmes d'or que j'ai connues dans les plus humbles conditions.
Il ne faut point s'étonner, si, connaissant autant que personne les précédents historiques de ce peuple, d'autre part ayant moi-même partagé sa vie, j'éprouve, quand on me parle de lui, un besoin exigeant de vérité. Lorsque le progrès de mon Histoire m'a conduit à m'occuper des questions actuelles, et que j'ai jeté les yeux sur les livres où elles sont agitées, j'avoue que j'ai été surpris de les trouver presque tous en contradiction avec mes souvenirs. Alors, j'ai fermé les livres, et je me suis replacé dans le peuple autant qu'il m'était possible ; l'écrivain solitaire s'est replongé dans la foule, il en a écouté les bruits, noté les voix... C'était bien le même peuple, les changements sont extérieurs ; ma mémoire ne me trompait point... J'allai donc consultant les hommes, les entendant eux-mêmes sur leur propre sort, recueillant de leur bouche ce qu'on ne trouve pas toujours dans les plus brillants écrivains, les paroles du bon sens. »
[extrait de l'introduction que Jules Michelet adresse à Edgar Quinet] -
Dans Pantagruel et Gargantua, les enfances, études, farces et guerres des deux géants, le fils et le père, et dans le Quart Livre cette navigation d'île en île vers le pôle, au pays où gèleront les paroles. Si le Tiers livre est si mal connu, c'est qu'il est seulement affaire de parole. On dirait un coup de bistouri : Rabelais est prêt à raconter l'embarquement des navigateurs, et dans le dernier chapitre ils s'embarquent effectivement. Mais, comme s'il n'avait rien prévu lui-même, au dernier moment tout le monde descend. Même, alors qu'on est censé être en utopie, de l'autre côté du monde, voilà qu'on se retrouve en vieille Touraine : le fou sera celui de la cour du roi, le juge viendra de Mirebeau, la sorcière on la prend dans ces landes qui seront encore de mauvaise réputation au XIXe siècle, à Panzoult près Chinon. On la lui a assez reprochée, à Rabelais, cette apparence incohérence narrative. Mais l'utopie, dont on vient, ne suppose-t-elle pas qu'on puisse faire confiance aux paroles qui la disent, ou la promettent ? On a aussi voulu rabattre le Tiers Livre a son point de départ rhétorique : Me doibs-je marier, ou non ? demande Panurge, à quoi invariablement Pantagruel répond : soyez asceuré de vostre vouloir.... La docte « querelle des femmes » qui avait agité le XVIe siècle s'était close près de 30 ans plus tôt : ce n'est pas le thème ni l'enjeu du Tiers Livre. Alors un premier niveau de farce, récurrente, soit. Mais c'est à un déploiement complet de toutes les strates de la parole qu'on va assister, et selon son locuteur. La parole des livres, celles des horoscopes. La langue du rêve, et celle des poètes. Le muet, la sorcière. Et chaque fois on renforce la mise : le médecin et le théologien, évidemment. Mais on ajoute le philosophe (stupéfiant Trouillogan). Et, ultime « incohérence » du Tiers Livre, on décide, à l'exact milieu du livre, de s'en remettre au fou, on ne parlera plus que de folie, mais comme ledit fou on va le chercher à la cour du roi (tiens donc), il n'arrivera comme par hasard que pour clore le livre... Alors choisissez : rien de facile, mais rien qui récompense autant. Livre à la fois le plus secret (suivez les occurrences du nombre 78...) et celui qui embarque le plus loin dans la naissance même de la fiction. On a reproduit ici l'exacte version initiale de l'imprimeur Michel Fezandat, Paris, en 1552, celle qui fait autorité, révisée par Rabelais lui-même, après la première édition de 1546.
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Né en 1877, musicien et compositeur, inventeur en toutes choses, c'est la littérature qui brûle radicalement Raymond Roussel.
On le moquera, on le dédaignera. S'il se suicide à Palerme en 1933 c'est en partie à cause de cet échec - il y a pourtant consacré sa vie.
Et, nous, on le place au plus haut des grands fous géniaux de la littérature. Et dans une période privilégiée, celle des surréalistes, de la remise en cause de toutes les lois établies de la littérature.
Dans "Comment j'ai écrit certains de mes livres", on en saura un peu plus sur la composition de ces "Impressions d'Afrique" (1910) qui sont avec "Locus Solus" son livre le plus légendaire.
Après tout, quoi de plus simple qu'écrire une phrase au hasard, la couper en deux, compléter chaque morceau et refaire l'opération.
C'est un procédé parmi 30 autres de ceux qui, scène par scène, seront explorés ici. Alors l'exploration est livrée à la nuit, à l'inconscient, aux éclats aveuglants de personnages portant toute une fiction avec eux le temps de trois lignes. Un majestueux bateau longe les côtes de l'Afrique, les font la guerre, les cannibales s'entre-dévorent et on reconstitue maniaquement des opéras disparus et des modes de chant dérivés des modes rituels.
C'est ainsi que vous vivrez réellement un voyage en Afrique.
Le plus réel et le plus légendaire des voyages imaginaires en Afrique.
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Le gigantesque Quart Livre, avec les moutons de Panurge (qui n'ont jamais été les siens, d'ailleurs!), la fameuse tempête, les paroles gelées, la grand combat entre andouilles et boudins, le dieu Gaster et ce qui est probablement le plus long mot de la langue française (morcrocassebezassevezassegrigueliguoscopapopondrillé dites-vous ? non : morrambouzevezengouzequoquemorguatasacbacguevezinemaffressé c'est bien mieux). Le français ancien est une langue étrangère qu'on sait d'avance, disait Valéry. C'est sans doute vrai pour le Pantagruel et le Gargantua. Mais le Quart Livre, une fois acclimaté aux graphies (ça vient très vite), vous verrez : le français d'aujourd'hui est quasiment inventé. Et Rabelais mime tout pour nous. Toujours se souvenir que lson public (lire, pour eux, c'est à voix haute: lecteur celui qui lit pour les autres) n'a connaissance que de sa langue régionale. Vous ne comprenez pas phare, néologisme dérivé du grec pharos? Rabelais vous dira : haulte tour sur le rivaige de mer, esquelles on allume une lanterne on temps de tempeste, comme povez-voir à la Rochelle ou Aigues-Mortes... Alors laissez faire la musique, laissez faire ce grand charroi obscur. Rabelais paraît-il est allé résider à Saint-Malo chez le pilote de Jacques Cartier, avant de s'embarquer dans son Quart Livre. Les navigateurs cherchent à tourner le pôle par le nord-ouest. Mais chaque île qu'ils croisent est un monde qui permet la satire de celui qu'on a quitté. L'île des Chiquanous, l'île où on achète licorne et caméléon, l'île des vents.... Et cette étrange île livrée à famine et misère, où un laboureur rusé (non, son épouse) aura raison d'un diable trop affamé... FB
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Et petit à petit redevenons
homard et thon,
de la Mer Noire - saumon -
picore les petits sablés / les petits soviets au sucre de la marée - petits tristes -
vous êtes, nous sommes, redevenons. Mais qui rallume la chanson ?
Qui l'enregistre ?
Suite de poèmes vocalisés par une ballerine voyageuse, Alger céleste trace une cartographie intime entre est et ouest, sud et nord, air et terre, Russie et Algérie, personnages de contes et héros nationaux, qui serait la délimitation d'un territoire reçu dans l'enfance puis réinventé par les mots. Ce qu'ils contiennent de distances et de rapprochements, de jeux et d'étrangeté, Katia Bouchoueva, poète et slameuse, sait parfaitement le faire entendre et résonner. -
C'est l'art de l'intrigue du XIXe dans toute sa splendeur. Pierre Zaccone, l'un des maîtres du roman dramatique parisien par excellence, hélas trop méconnu mais néanmoins remis au goût du jour par quelques passionnés, nous livre ici l'une de ces histoires dont il a le secret.
Tout commence par un atroce crime dans une sombre maison près de Paris, par une nuit d'orage... Le tableau parfait, un décor qui fait frissonner, décrit à merveille par un auteur maîtrisant tous les codes du genre. Quinze années plus tard, le passé rattrape les assassins, et l'auteur met les pions en place sur le grand échiquier de l'enquête. Se croisent alors les protagonistes dans un étrange ballet, où les intérêts des uns, l'argent, la gloire, le pouvoir, s'opposent à ceux des autres, l'amour, la justice, la vengeance. Un polar à rebours, puisque nous autres, lecteurs, connaissons le nom des assassins, et que nous assisterons, en spectateurs conquis, à la grande danse des nuits parisiennes, aux manigances et aux intrigues, aux coupés qui brûlent le pavé, aux lettres secrètes ; enfin, à la course folle de ceux qui fuient le passé et de ceux qui en cherchent la clé. Ajoutez à cela une dose de surnaturel et de mystère, et vous aurez entre les mains un classique qui méritait de retrouver son public, puisque il est pour la première fois (à notre connaissance), disponible en numérique.
Une publication en collaboration avec le site et la collection ArchéoSF, bien entendu. -
On n'évacue jamais la question du rapport du texte aux images, quand bien même on y revient, on la pratique. Peut-être est-ce même au fond la seule question : quelles images lève un texte ? Quelle forme de récit s'esquisse au-dedans, par-dessus, à travers les images ? Comment s'accordent en un livre qui les met en présence, c'est-à-dire dans notre expérience même du monde, ces deux régimes du lisible et du visible, ces deux temps du récit et de la présence ?
Sous le pont, dans les ombres, les bois gluants du bord de l'eau, l'horizon bascule, s'affole comme on le dirait d'une boussole. Les temps, les figures se confondent, se superposent ou se corrompent à la faveur d'une angoisse insidieuse.
Au canal est un texte de vertige, de folie qui tient du rêve et du délire. Un texte qui joue du basculement, du déséquilibre et emporte avec lui ce qui fait le monde coutumier pour le désétablir ou le restituer à son vertige le plus profond, sa précarité la plus inquiète. Car toujours quelque chose appelle dans les angles morts, dans l'indéfini des marges. Tout le long, d'un tableau à l'autre, le canal s'impose comme le personnage central, inhumain ou informe s'insinuant dans les êtres. Territoire familier et angoissant, redouté et insistant comme ces puits que l'on porte au-dedans, ces appels du chaos, il n'est pas sans évoquer la Zone de Stalker, filmée par Tarkovski dans son vertige géographique, dans la tension dramatique qui en dessine l'espace. Il devient une obsession, le lieu de ce qui réclame et qui n'est jamais dit.
Les images de Frédéric Khodja n'illustrent pas le texte de Marie-Laure Hurault en se donnant à lire. Elles ne racontent pas. Elles n'anticipent pas une description que l'on va lire et elles ne sont pas la confirmation imagée à posteriori des situations que le texte nous invite à nous figurer. Enigmatiques pour celui qui en attendait autre chose, elles s'invitent davantage comme sensations, comme éléments de trouble, rejouant sous leur mode propre le déséquilibre par lequel la fiction se met en marche, comme autant de trouées, autant de figures. Images narratives et images visuelles, dans une proximité d'esprit dévoilent leur abîme, leur vertige, les capacités qui sont les leurs de se tordre, s'inverser, se creuser pour concourir à l'expression d'une vérité convulsive.
Jérémy Liron
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C'est par le refrain de Charles Trenet, Douce France, que Katia Bouchoueva nous fait entrer dans ce nouveau recueil. Depuis ce leitmotiv elle esquisse un panorama très situé, dans un territoire tantôt urbain, tantôt campagnard où se croise une foule éclectique : des personnes, des voix, des êtres protecteurs aux noms d'animaux, des lieux arpentés comme des corps accueillants, des strophes aux accents de contes. Mais cette douceur, qui est pour l'auteure attachée à la France, montre aussi son revers tyrannique par petites touches sur ces tranches de vie. Ainsi, le vers très libre et vivant de Katia Bouchoueva nous emmène par bonds, par sauts, en visite, dessinant les contours de son espace de jeu avec la langue et brodant sur la chanson sa propre ritournelle.
Les anges asexués et ceux qui ont un sexe
et ceux qui en ont deux traversent, traversent
les plaines des ventres, les grottes et les tétons.
Tout y est bon, disent-ils, tout y est bon :
immeubles des années 60, colonnes Morris,
ronds-points, sorties d'autoroutes,
lacs et montagnes.
Et tes yeux comme des petites olives
noires mais adoucies
ta machine administrative douce aussi. -
Pourquoi revisiter la Révolution française aujourd'hui ? Comment la fiction, la littérature, peuvent-elles s'autoriser à contourner la chronique et le commentaire historiographique ? Je propose une simulation de la Révolution, en associant détournement, humour et politique. En procédant à une réincarnation aléatoire de personnages historiques, je réactualise la mémoire collective : le regard contemporain se déplace, des grands hommes du passé vers les anonymes d'aujourd'hui (citoyens, électeurs, grévistes), des événements fondateurs aux exigences toujours actuelles (les droits de l'homme, le bien-être individuel et collectif). L'humour consiste à « revoir 89 » avec les expressions du marketing et du capitalisme (briefer, vendre, gagner), à délester le lexique de la communication de sa charge pernicieuse, montrer comment, aujourd'hui, la com. et le marketing sont la politique. Ce tour de passe-passe me permet de dénoncer un monde où le succès, les médias et l'argent justifient tout. Un narrateur multifonction, polyvalent, journaliste, poète, scénographe, consultant, conseil en communication, expose sa vision de l'histoire et de l'actualité, par des allers et retours entre le monde actuel et 1789, interrogeant les notions d'aliénation et d'émancipation, de citoyenneté, dans un processus d'adresse au lecteur, pour tenter de répondre aux questions suivantes : Est-il possible d'inventer une poétique du monde social et politique ? De pointer, par le medium littéraire, les défaillances du système actuel (la raison cynique, l'impuissance face à l'hypercapitalisme) ? La Révolution française est-elle un capital ? Si oui, comment le transformer ? Peut-il exister un imaginaire de la contestation ? VP Et voilà le versant sérieux des questions que se pose l'auteur, Véronique Pittolo, avant cette descente au milieu de Robespierre, Marat et les autres. Mais cela change quoi, si on y amène les caméras de télévision et les usages publicitaires d'aujourd'hui ? Si on fait monter Lénine sur un tonneau, et qu'on scrute aussi l'envers de tous ces vieux mots, quand tous les problèmes de domination et d'exploitation demeurent ? Alors dire que La Révolution dans la poche, c'est comme un hymne à l'envers, un opéra de poche, mais traité presque comme une farce - pourtant, au plus juste de l'humain, sur eux, les hommes de la "terreur", comme sur notre présent... Particulièrement fiers donc d'accueillir ce texte important, disponible en version imprimée chez Al Dante. FB
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nous brûlerons l'affection
comme une flamme
au milieu de nous
nous brûlerons
car nous voulons la paix
mais aussi l'élan et le risque
sinon morts morts tout à fait
morts pour de vrai
ami.
et c'est ainsi qu'
aujourd'hui passe
Dans cette adresse au lecteur, à l'autre, à l'ami, qui fait le titre du recueil, il s'agit de livrer une voix intime, presque oralisée, et d'accorder totalement sa confiance à la nécessité de l'écriture. Recherchant une manière d'« être dans le présent », l'auteur recueille des épiphanies, tente de rapprocher le poème de ces moments du quotidien qui nous font nous sentir vivants. Cela, qui est à la fois très essentiel et très simple, un café, un jardin, un enfant, un amour, une absence, tisse, par-delà la mort qu'elle ne cesse de côtoyer, un chant qui nous rapproche résolument de la vie.
Enfin tu regardes l'herbe peut être lu et écouté sur plusieurs supports :
- un livre papier [qui donne accès à la version numérique gratuitement] > 19EUR
- un livre numérique > 5,99EUR
- un CD [qui donne accès à la version numérique du CD gratuitement] > 10EUR
- un CD en version numérique > 5EUR
- le pack livre + CD qui donne un accès gratuit aux versions numériques > 27EUR -
un mois, sous yourte...
écrire, méditer, marcher, casser mon bois pour le poêle, quelques gestes simples...
les buis, les larges collines bombées, les grandes herbes, dolines, avens, les colonnes de roches ruineuses comme des chapelles romanes de cailloux secs, les pierres claires concassées des sentes, les pins sous la neige, les hommes...
pour l'instant, j'écoute. -
« Serons-nous capables de faire parler en nous et par nous les animaux, les plantes, les virus, les objets techniques, sans imposture et sans renier ce que le matérialisme nous a légué ? » Dans son premier roman Soeur(s) (2020), Philippe Aigrain proposait, sur le mode de l'anticipation chorale, « un conte technique opérant à la fois facétieusement et à très grande profondeur (...) sur les technologies de surveillance » (Hugues Robert, librairie Charybde). Jachère, second roman auquel il travaillait encore quelques jours avant sa disparition, et commencé au début de la pandémie de Covid-19, va plus loin dans son exploration d'un futur plus meurtri encore, mais jamais exempt de douceur. Le roman nous place dans un temps d'après le chaos. L'humanité, dévastée par des années de guerres, ravagée par les virus est au bord de l'extinction. C'est dans ce contexte que se rassemble une petite communauté. Ils et elles sont douze. Ensemble, ils arpentent les champs de bataille qu'ont laissé dans leur sillage les robots tueurs. Ensemble, modestement, ils tentent de réamorcer les rouages de la civilisation. Tout se complique lorsqu'ils commencent à converser avec des machines militaires fatiguées d'avoir oeuvré tout ce temps à détruire. Peut-on envisager de reconstruire avec elles ? La quête fixée par ce petit groupe est plus humble que celles qu'on trouve généralement dans les récits post-apocalyptiques. L'enjeu est moins le survivalisme individuel que la survie des communautés humaines, l'entente entre les hommes, les femmes et les non-humains. Inspiré par des penseurs tels que Philippe Descola ou Gilbert Simondon, Philippe Aigrain dans ce deuxième roman d'une grande délicatesse chemine avec des littératures qui ont contribué à former son regard et son écriture. Ainsi Marielle Macé, Nastassja Martin ou Bérengère Cornut peuvent être invoquées. Le tout illustré par Roxane Lecomte qui prête vie aux montagnes slovènes, véritable actrices à part entière du récit. Sans oublier Marie Cosnay, dont Jachère doit beaucoup, et qui prolonge la lecture d'une postface émue. - Extrait de la postface de Marie Cosnay - « Longtemps après la lecture de Jachère, deux images résistent, demeurent, et je sais que cela plairait à Philippe de le savoir : les courbettes et révérences des monstres tueurs devenus alliés imprévisibles, cette douceur, et la science des plantes, comment naît le riz, le soja, comment on cueille orties, pissenlits, pâquerettes, bourrache, oseille sauvage, mâche, plantain, onagres, crosses de fougères, que sais-je encore. La douceur, encore, de cette ordonnance du monde, ou plutôt, de cette recréation du monde. »
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Visage rimbaldien, destin romantique, culture sur les marges, écriture de l'affrontement : tout a prêté, en un temps "fin de siècle" de réaction, de démenti et de disparition, à cette édification soudaine d'un mythe dont un homme et une oeuvre, surtout, éprouvent d'infinies difficultés à se démettre. Brutalement, sous les diverses formes de l'indexation au répertoire, de l'héritage, du recyclage, l'oeuvre fut récupérée au nom édulcoré de sa révolte même. Curieusement, alors qu'il est ainsi adulé par le public théâtral, les comédiens et les metteurs en scène, les étudiants, les jeunes, en France et encore davantage à l'étranger, l'auteur reste plutôt ignoré du milieu proprement littéraire.
L'étonnante étanchéité contemporaine de la pensée et de la scène n'explique pas tout. De ce clivage entre le mythe et l'ignorance, il importe de finir rapidement. Contrer la rareté du livre critique et l'abondance spectaculaire des revues (leur côté parade), désenclaver l'oeuvre de Koltès d'une analyse presque exclusivement dramaturgique (ou d'une approche outrancièrement testimoniale), en élargir le champ référentiel, en faire valoir la tension poétique et la portée philosophique, permettre ainsi une ouverture de la lecture, toujours propice à la diversification des créations scéniques, telle est donc l'ambition avouée de cet essai.
CB
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L'histoire commence toujours après la fin : on le sait bien. C'est donc au lendemain que commence la pièce : lendemain de fête et de liesse, 13 juillet 1998, un pays célèbre une victoire sportive comme jadis une conquête militaire, dans l'illusion d'une union qu'on prétend sacrée. Sadwell Hall, lui, a choisi cette nuit pour disparaître. On est le lendemain de ce mystère autour duquel s'agrègent les énigmes, et d'abord celle-ci : qui est-il ? On sait seulement qu'il a disparu, et cela suffit pour commencer l'histoire.
Lendemain s'ouvre comme une enquête policière, mais c'est une fausse piste - c'est d'autres disparitions qui surtout ouvriront la pièce en mille directions. Les repères se brouillent, et ce décor de récit policier se révèle bientôt pour ce qu'il est : un décor pour des figures en attente d'une histoire, des ombres pleines de nous-mêmes, tout un théâtre qui se replie sur notre présent.
Dans cette course ample à travers les deux dernières décennies, Joseph Danan dessine une généalogie de nos secousses présentes, ces terreurs et ces joies qui signent notre appartenance à ces jours, où les Coupes du Monde de football sont nos événements historiques, qui scandent désormais notre rapport au temps presque autant que des attentats : où depuis vingt ans, rien ne semble avoir eu lieu que cette imminence dont le texte porte la charge et qu'il accomplit.
Et dans l'écriture qui vient porter le fer aux conventions, sociales, politiques, théâtrales, une manière à la fois de s'affronter au présent, et un geste qui voudrait déborder notre époque par elle-même. Puis dans ce geste, on entend ce qui sourd, est latent, tacite, un soulèvement possible (et face au refus de faire « miroiter les différentes facettes du cauchemar », une façon de le dévisager, de lui faire face, aussi).
« Toujours nous serons les habitants de ce lendemain / inhabitable », dit l'Auteur dans la cinquième partie de la pièce - peut-être faut-il le croire, et venir peupler ce qui se lève autour de nous à mesure que, lisant, nous faisons l'exploration de ce temps impossible qui est le nôtre.
Préface de Jean-Pierre Ryngaert
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Quel est le nom de cette ville qui brûle en moi ?
Que ce soit lors de ses errances citadines, ses voyages souterrains ou hors la ville, Christophe Grossi aime observer ce qui nous relie ou nous oppose. Au fil des rencontres fugaces ou vivaces, des moments de tension ou d'apaisement, il s'interroge sur notre présence au monde, notre immobilité en mouvement et nos désirs de fuir. Si la ville fascine, elle peut griser aussi. Et dans nos va-et-vient, comment habiter les lieux traversés, quel que ce soit le mode de transport choisi ?
Dans ce récit qui procède par fragments, où les voix convergent et se complètent, une galerie de portraits se construit. Une nouvelle carte apparaît, faite d'itinéraires réels ou imaginaires, le long desquels les absents hantent les vivants. Et chaque trajectoire prend la forme d'un possible soubresaut.
La ville soûle n'est pas un récit de voyage au sens propre : c'est une métamorphose.